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par pj-piotr » dim. 11 02, 2018 18:31
J'ai parcouru le thread en vitesse, donc certains détails m'auront probablement échappé.
Donc pour synthétiser, j'ai repris l'affaire d'exploitation de mon père il y a maintenant quatre ans, en région Centre, sur une zone de chalandise qui couvre les départements du Loiret et du Cher. Avant moi, mon père avait commencé en 1971 chez Goumont à Orléans, avant de se mettre à son compte au début des années 1980, et encore avant ça, mon grand père a attaqué les jeux en 1968, à Orléans toujours, après en avoir exploité pendant environ cinq ans dans son bar, principalement de vieux mécaniques et des pistes de bowling mécaniques. J'ai 38 ans aujourd'hui mais je pense connaître un truc ou deux sur l'exploitation, même si évidemment quand j'étais plus jeune, je n'étais pas vraiment le nez dans la compta ou le déroulement quotidien. Par contre, j'y ai toujours été exposé.
Pour éviter les redites, il est évident que le métier n'a plus rien à voir avec ce qu'il était il y a trente ou quarante ans, ça va sans dire, surtout en termes de recettes. Mais si j'ai repris, c'est parce que l'affaire continue à faire des sous ! Et cela aurait été dommage de vendre : à qui ? Bref. Et surtout, ça me plaît ! Je ne vais jamais au boulot à reculons, malgré parfois des contraintes assez pénibles. Donc, en vrac :
Exploitation :
- des flippers, pas tant que ça. Jack Bot, WCS '94, Indiana Jones WMS, Scared Stiff (x2), Junk Yard (x2), Iron Man, Tron (m'a fait de bonnes caisses de façon inattendue), X-Men, Ghostbusters, Star Wars, Guardians of the Galaxy. Pour éviter les kilomètres, il faut être impeccable sur les révisions et les pièces détachées. Exit les bricolages d'il y a 20 ans, la rigueur est de mise. Tarifs (y compris sur les Stern Spike tout neufs) : 1 € 2 parties, 2 € 5 parties. Je peux faire de très bonnes caisses avec des flips dès lors qu'il y a un noyau de joueurs. Mon meilleur flipper à l'heure actuelle est un Ghosbusters, et il ne tombe pas en panne. J'ai eu un fil de cassé sur un microswitch et c'est tout. Et pourtant il tourne fort.
- une dizaine de billards pool qui marchent bien, une dizaine qui font plus de la figuration. Pour les meilleurs billards, les tapis sont changés tous les ans, voire six mois pour ceux qui cartonnent, avec des couleurs autre que les sempiternels verts/bleus. On a du taupe, du rouge victoria, du orange, avec des boules de pool de couleurs variées autres que jaune/rouge. Ça n'a l'air de rien mais ça y fait - Sauf exception, partie à 2 €
- une vingtaine de baby-foot bonzini B60, tous ont moins de 5 ans. Sauf exceptions, ils sont tous à 1 € la partie, 13 boules. Ceux à 50 centimes sont à 9 boules. Cf. le prix d'un B60 neuf
- cinq ou six jeux de palet, plans ou incurvés, qui marchent très bien, surtout en bowling. Le palet Sonic est une valeur sûre. Tarif 1 € 2 parties, 2 € 5 parties
- trois jeux de basket sonic. Bien qu'encombrants, ne tombent pratiquement pas en panne. Juste les ballons à contrôler. 1 € la partie.
- cinq jeux de boxe. Bien placés, ils marchent très bien. Parfois les ballons crèvent, mais c'est très rare. On en a toujours un dans le camion. 1 € 2 parties, 2 € 5 parties
- deux jeux de marteau forain. Même chose, ne tombe pas en panne, parfait dans un bowling. 1 € 2 parties, 2 € 5 parties
- Les seuls jeux vidéos en exploitation active : des conduites Sega. Un Sega Rallye 2, un Scud Race, et un Ferrari F355 challenge. En cours de réparation : un Outrun 2 et un Daytona USA 2. Rachetés à vil prix à des gens qui ont pas la patience de taper dedans pour diverses pannes hors unité centrale, il y a des affaires à faire.
- Jeux de fléchettes : nous avons une douzaine de Dartslive 2, certaines font le championnat France Darts, d'autres non (et font davantage de recettes). Tarif 1 € 3 crédits, 2 € 6 crédits (et on a pas la main sur le réglage des tarifs). La gestion du championnat et des joueurs est un chapitre distinct qui pourrait faire l'objet d'une encyclopédie à part ...
- une seule grue à peluches. Il faut acheter le consommable.
- il nous reste un unique Megatouch XL où il y a un seul joueur qui met l'argent. Le jour où il n'est plus là, ce tactile rentre à l'atelier. Il veut celui-là et pas un autre.
Dans un parc d'amusement pour enfants, c'est différent. Nous avons un palet, un kiddie ride hélicoptère avec vérin montant descendant qui cartonne, un Eurobut, des kiddie ride plus statiques au nombre de quatre, une grue à friandises, un éléphant géant acheté une misère, un jeu de palet, un jeu de boxe (si, si), un whack-a-mole pour enfants, une autre grue à peluches et une grue à friandises. Après une période de stagnation, le parc a trouvé son rythme et nous investissons/changeons régulièrement des machines.
L'exploitation, ça implique donc la surveillance, la logistique, et les dépannages. On a deux fourgons récents ainsi qu'une camionnette. Parfois, comme ça a été dit, on se tape un aller/retour à 200 km pour virer un morceau de décor en plastique qui a cassé et bloque un couloir. Mais ça, ça a toujours été. Il faut l'accepter, ou faire autre chose. Quelques chariots spécifiques pour les flippers ou les billards, une rampe aussi. Sur le plat je charge et décharge un flipper seul. Je peux aussi le faire avec un billard mais c'est quand même beaucoup plus commode à deux.
Il faut avoir du flair dans les investissements, faire jouer son réseau de connaissances et de marchands.
Il n'y a pas de contrat entre l'exploitant et le dépositaire, cela fonctionne sur une relation de confiance depuis des dizaines d'années. À de très, très rares exceptions, on a jamais été ennuyés pour récupérer les jeux. En droit français, il n'y a pas besoin d'un écrit pour que le contrat soit valablement formé (ad validitatem). Le jour où ça ne va plus, on récupère nos jeux et on se quitte bons amis.
La ristourne commence à 30 % pour les nouveaux clients, et peut monter jusqu'à 40 % si les recettes sont bonnes. Le cafetier qui souhaite des jeux est libre ou non d'accepter cette répartition, de faire ou pas affaire avec nous. Nous sommes dans un pays libre, et nous avons passé l'âge d'avoir à se justifier. Le dépositaire paie son électricité, et nous lui communiquons une valeur assurée au cas où les machines venaient à être dégradées ou détruites dans son établissement. Si ce sont nos machines qui provoquent des dégâts (incendie), là c'est notre responsabilité civile professionnelle souscrite chez un grand assureur à trois lettres qui couvre à hauteur de 2,5 millions d'euros.
Pour la forme juridique, je suis en nom propre, avec un régime de TVA, numéro se SIRET et tout le saint frusquin. C'est imputé sur la déclaration sur le revenu. Corollaire : avoir un excellent cabinet comptable. À l'époque d'une réglementation qui change vite et où tout est dématérialisé, c'est une dépense indispensable. Les transactions commerciales s'effectuent via un compte commerce où sont également prélevés tous les mandats SEPA (y compris ceux de l'administration fiscale). La TVA est payée au mois. La CFE est payée à date tous les ans. La vignette a disparu, sachant que par le passé à Bourges elle coûtait 276 € par an et par appareil, et ce avant même d'avoir touché 1 €.
La gestion du parc de jeux est assurée par un logiciel maison dont la première version sous dBase III remonte à 1985. Le cabinet comptable renseigne chaque mois les liasses fiscales et toute la facturation est désormais émise par un logiciel online certifié par l'administration (factures intangibles après leur émission).
Nous avons pris le parti d'avoir un nombre de place plus réduit, mais plus rentables, et/ou avec un bien meilleur feeling avec le propriétaire. On évite les tours, on gagne en santé mentale et en stress. Ici en région centre, le nombre de bars s'est considérablement réduit, et la géographie d'ici n'est pas celle de la Bretagne, du Nord ou du Sud. Je suis un peu dans la diagonale du rien ...
En parallèle, nous assurons aussi des prestations de location. Tous les jeux que nous avons en exploitation sont susceptibles d'être loués, mais nous assurons surtout des locations sur 1 ou 2 jours. Plus le client loue de jeux, plus le tarif est dégressif. Tout est sur devis. Nous livrons le matériel avec nos propres véhicules (parfois ça peut aller jusqu'à 3 fourgons + remorque, surtout pour des questions d'encombrement et/ou de PTAC, et puis le 20 m3 U-location, ça ne fait pas très sérieux), assurons la mise en service, la ramasse et le retour, y compris dimanches et jour fériés. Nous louons même de très vieux mécas (un North Star de 1964 et un Masquerade de 1968) qui assurent l'amusement de tous sans tomber en panne, même dans une soirée de comité des fêtes. Il y a à boire et à manger dans les tarifs de location mais encore une fois, on est dans un pays libre, certains de mes devis ne passent pas, mais c'est souvent parce qu'il y a un collaborateur ou un intervenant qui fournit un baby foot au black. C'est le jeu. Le jeu aussi quand on fait une location, c'est l'astreinte. Si mon jeu tombe en panne un samedi à 22h, et ben il faut y aller, et idéalement en avoir un de près. Toutes ces locations sont ponctuelles et imprévisibles, il faut donc pouvoir faire face en termes d'organisation.
Ensuite, il y a les prestations externes. La vente de matériel neuf ou d'occasion aux particuliers ou aux entreprises implique qu'il ne s'agit pas de livrer le matériel, prendre l'argent et s'enfuir : nous assurons le suivi, réparations et garanties le cas échéant. Nous avons des jeux à l'entretien dans des propriétés en Sologne où il y a beaucoup d'argent qui ne se voit pas depuis la route, mais aussi dans des ensembles plus grands, comme l'entrepôt d'Amazon Logistique à Saran, où il y a 6 Bonzini B90, un flipper, un palet et 4 jeux de fléchettes en jeu gratuit. Là, il y a un contrat annuel négocié. Nous avons aussi vendu du matériel à des bases militaires (Cuirassiers d'Olivet, BA 123 de Bricy) et dont nous assurons l'entretien, et un hôpital psychiatrique à Chezal-Benoît (flipper, baby-foot, jeu vidéo, Wurlitzer OMT 1015).
Et pour finir, il y a la réparation de machines des particuliers, qu'il s'agisse de flippers électroniques ou mécaniques, ou de juke-boxes (et là c'est senior qui s'y colle). La première visite chez le client est gratuite, mais la réparation se fait toujours en atelier. Compte tenu du fait que nous gardons prioritaire l'exploitation et les prestations externes, on a une liste d'attente pour rentrer les machines en atelier. Je préfère dire au client qu'il me rappelle ultérieurement plutôt que de prendre sa machine à l'atelier sans y toucher. Là encore, on tombe souvent sur des horreurs sur-bricolées, or quand une machine passe entre nos mains, on a une obligation de résultat : ça doit marcher, et si ça ne marche pas, on doit assurer le service après. Par conséquent, les tarifs peuvent apparaître salés (encore que comparé à une heure de main d'oeuvre chez un concessionnaire auto c'est rien), mais c'est comme ça, d'autant que les jeux ne sont pas des biens de consommation vitale. Là encore, tout est sur devis gratuit.
Les charges sont les mêmes que celles de n'importe quel artisan. Carburant, assurances véhicules, réparations afférentes (d'où la nécessité d'avoir un bon garagiste et de connaître ses véhicules sur le bout des doigts pour les pièces d'étachées, j'ai divisé ce poste par environ 2,5 par rapport à il y a dix ans), mais aussi Responsabilité Civile Professionnelle, RSI, TVA, CFE, retraite complémentaire, mutuelle santé complémentaire, assurance accidents de la vie (tout ça en Madelin), contrats bancaires ... D'ailleurs, il est de plus en plus pénible de trouver une banque qui prenne la monnaie en sacs, malgré le fait qu'il soient tous comptés en sacs scellés et calibrés.
Je rembourse 400 € par mois au titre du prêt de financement de l'achat du fonds de commerce. Il est certain que le succès de l'activité ait été facilité par le fait que ce soit une reprise d'un parc existant, familial au demeurant, mais ce serait réducteur. D'une part, les horaires peuvent être indignes, il n'y a pas de limites. Des gens peuvent vous prendre la tête à n'importe quelle heure. Les pannes peuvent survenir n'importe quand. Il y a beaucoup de kilomètres. Beaucoup. On commence de bonne heure le matin, autour de 7h30, et ça peut parfois finir à 20h. En ce qui me concerne, je ne vois pas le temps passer.
De même, réparer les flippers, et les réparer bien, ça ne s'improvise pas. Il faut avoir une disposition d'esprit de techie, ou de geek, voire les deux, et il faut bûcher. Je me suis farci tous les guides en anglais qu'on utilise tous, les pinwiki et autre marvin & cie jusqu'à connaître certains flippers absolument par coeur (WPC, WPC95 et Sys 1 / 80 en ce qui me concerne). Apprendre les lois de l'électronique, au moins les bases, puis savoir choisir ses composants électroniques, où les acheter, au meilleur prix, etc. Savoir faire des soudures parfaites, confectionner des faisceaux, des cosses, des peignes, changer un mécanisme de flip pendant qu'un gus aviné vous explique qu'avec un marteau ce serait vite réparé, etc. Apprendre à établir un diagnostic, sans se planter, ça ne s'improvise pas, parce qu'il faut se constituer un bagage technique. Reprendre intégralement une driver. Il n'y a que pour les CPUs où je délègue à des gens qui travaillent plus vite et mieux que moi, donc le client économise au final. Il faut aussi être irréprochable sur la manutention. On a réussi à faire tenir 4 billards complets à l'intérieur d'un Ducato L1H1. Le carburant coûte cher, il faut limiter les tours.
Je dispose aussi toujours d'un énorme stock de pièces et de vieilleries amassées par le papy (idéal pour les mécas et les seeburg) et certaines raretés qui permettent d'assurer des réparations à des tarifs maîtrisés. Parfois on gueule un peu du manque de place, mais s'il faut un tormat pour un seeburg ou un module autospeed pour faire des tests, on a ça sous le coude. Ça et beaucoup d'autres choses.
Au final, le chiffre d'affaires augmente toujours tranquillement d'une année sur l'autre, à tel point que j'envisage de prendre un local commercial plus grand dans le courant de l'année. Je travaillerai dans de meilleures conditions et ce sera plus facile pour la clientèle.
Voilà. En tous cas, j'aime ce boulot alors que j'avais pas forcément vocation à y évoluer !
Zis is how ve say gutbye in Germany.
