La machine était son propre outil de diagnostic, il suffisait –ou presque– d'un tournevis pour détecter les pannes et d'un fer à souder pour y remédier. Les ampoules servent de voyants20et se signalent elles-mêmes quand elles sont défectueuses. Pour forcer leur alimentation, il suffit de disposer du schéma de la machine et d'un tournevis : suivant les cas, on actionne l'équipage mobile d'un relais, tous les contacts en même temps, ou bien on court-circuite seulement le contact qui alimente l'ampoule. En général, le même contact alimente plusieurs ampoules et on voit immédiatement laquelle reste éteinte.
Les ampoules sont des modèles 12 volts alimentés sous 8 V, ce qui leur confère une durée de vie très longue.
Les contacts de relais soudés sont très faciles à détecter puisqu'ils sont dénoncés inévitablement par un organe commandé en permanence ou brûlé à cause de ça.
Les tambours des compteurs, les champignons qui renvoient la boule, les flippers sont actionnés par des électro-aimants alimentés en 24 V alternatif. Si l'un d'eux ne réagit pas, il y a un doute quant à l'organe défectueux, il peut s'agir d'un fil coupé ou d'un contact de relais charbonné. Le diagnostic est simple : appu yer à la main sur le relais et court-circuiter les deux cosses de la bobine douteuse. S'il y a un arc, cela signifie que le jus arrive jusque là, le contact et les fils sont en bon état. Dessouder et remplacer la bobine. S'il n'y a pas d'arc, remonter les fils jusqu'au relais pour trouver la coupure, le plus souvent au ras d'une soudure. Si les fils sont bons, essayer de court-circuiter le contact ; en cas de besoin, le remplacer, cela fait moins de fils à dessouder que pour remplacer le relais. Une fois rentré à l'atelier, on remplace les grains de contact sur les languettes et on est parA 9 pour la prochaine réparation.
L'un des pannes fréquentes affecte la bobine de flipper. Elle se retrouve coupée après une ou plusieurs surchauffes. Cette bobine n'est pas aussi simple qu'il paraît. Il faut une forte intensité pour donner la pêche à la boule, mais cette intensité provoque un échauffement excessif si le flipper est maintenu actionné pendant un certain temps. C'est pourquoi la bobine est double : une partie avec peu de spires en gros fil et une partie avec un grand nombre de spires en fil fin. Les deux parties sont câblées en série, la partie en fil fin est court-circuitée au repos par un contact de fin de course. Au départ le gros fil pompe un fort courant ; en fin de course, le court-circuit s'ouvre et le fil fin se trouve en série, l'intensité retombe à une valeur beaucoup plus faible, mais suffisante pour le maintien en position.=2 0Un contact de fin de course déréglé ou20soudé ne s'ouvre pas, la bobine brûle.
Tout ce matériel était largement dimensionné, pour résister à des heures de fonctionnement dans les conditions les plus dures. Il est vrai qu'en plus du tournevis et du fer à souder, le dépanneur devait toujours avoir dans sa camionnette au moins une vitre de rechange. Malgré son épaisseur, elle ne résiste pas toujours à la rencontre violente avec un cul de bouteille. Le reste, la partie électro-mécanique, était construit pour résister à des militaires qui tuaient le temps à coups de canettes de bière. Et ces machines fonctionnaient ! Quand j'entrais au foyer de la base aérienne, avant de voir s'il y avait des glaces à remplacer, j'étais content d'entendre le juke-box, au moins il n'était pas en panne. C'éta it un vieux Seeburg 100 selections qui avait été placé là pour éviter d'exposer aux brutalités de la soldatesque un matériel stéréo tout neuf. Ce jour-là, pas de glace brisée, le juke-box est en marche, oui, mais sur le dos !
Brutaux, les bidasses, mais pas vraiment méchants. Au mess des officiers, c'était une autre histoire. Trois semaines de suite, le compteur de parties (interne) d'un 20 des tictics affichait un nombre énorme par rapport au contenu de la caisse. Dans ce système entièrement électro-mécanique, le compteur de crédit fonctionne comme les afficheurs : un électro-aimant fait tourner le tambour d'un cran pour une partie, soit avec les impulsions du monnayeur, soit avec le score d'un joueur. Arrivé à zéro, le tambour ouvre un contact et interdit le lancement d'une nouvelle partie. Le tambour est visible dans une fenêtre du fronton en matière plastique transparente avec les pin-ups sérigraphiées au dos. Les clients –appelons-les comme20ça– avaient percé le fronton avec un fil de fer chaud et faisaient tourner le tambour avec le fil de fer à travers ce trou. Ils avaient fini par gratter la peinture et mettre le métal à nu, ce qui m'a permis de repérer le manège. J'ai simplement glissé un morceau de verre derrière le plastique du fronton, sans rien dire. Quand même, ma bonne dame, des officiers, des aviateurs !
Le compteur de parties sert =2 0principalement à savoir si le jeu n'est pas devenu trop facile. Quand la proportion de parties gratuites devient trop forte, il faut corriger quelques réglages : ramollir la réponse des bandes et des champignons, écarter les flippers, réduire leur course, rendre le tilt plus sensible, etc. Quand les joueurs se sont habitués, on corrige à nouveau, et on finit par remplacer l'engin. On apporte une machine réglée facile pour amorcer et on recommence...
Depuis que j'ai rendu la caisse à outils et les clefs de la voiture –il y a longtemps–, je n'ai jamais remis la moindre pièce dans un tictic. C'est le symbole de l'économie actuelle : ça consomme, ça fait du bruit, ça ne produit rien, quand a réussi on a juste gagné le droit de recommencer.
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Quelques explications en marge de l'article : il a été envoyé récemment à la rédaction de la revue ELEKTOR, mensuel d'électronique réputé, mais n'a pas pu y être publié. Avec Yann on a pensé que le site pouvait parfaitement l'accueillir ! Nous appelerons son auteur "le dépanneur masqué" (car il a souhaité garder l'anonymat). Je n'ai fait que le copier/coller dans nos colonnes. J'espère que sa lecture vous a plu

-- Pascal J.